Dire oui à la vie !
J’ai eu la chance d’assister à deux conférences d’Alexandre Jollien récemment : le 21 octobre sur le thème « Bien faire et se tenir en joie », puis le 24 octobre : « Dire oui, qu’est-ce qu’accepter ou accueillir ce que nous offre l’existence ? » (avec le Centre Sésame).
Quelle joie de partager ici quelques pépites de ce trésor !…
La voie d’une sagesse espiègle
Alexandre Jollien, handicapé de naissance, incarne pleinement son message : la joie est toujours possible, quelles que soient les circonstances. Pour cela, tout un art de vivre est requis, des exercices spirituels et une ascèse. Cette ascèse consiste à s’alléger : en faire toujours moins, se libérer des fausses questions, laisser de côté toutes les comparaisons qui nous tuent. C’est le chemin pour découvrir que la joie, la paix, que nous cherchons à l’extérieur, sont déjà au coeur de nos vies.
Le philosophe nous invite à bâtir une « sagesse espiègle », à débusquer le sérieux. On oublie que la vie est éphémère, et c’est bien là tout le tragique de l’existence : elle passe, et cela nous dépasse. C’est un miracle que nous soyons là, ici, maintenant. Alors, honorons ce miracle !
La sagesse consisterait donc à apprendre à aimer la vie telle qu’elle se dessine au quotidien, la vie avec toute son incertitude.
« Il faut porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse »
- Nietzsche
Le travail consiste donc à voir – et accepter – le chaos que l’on porte en soi, sans en avoir peur, et repérer ce qui nous met en joie, au coeur-même de ce chaos.
C’est une conversion radicale dans la manière d’être au monde, ici et maintenant. Il ne s’agit pas ici d’une conversion extra-ordinaire, comme celle qu’ont connu certains grands saints. Parfois, doucement, c’est au coeur du grand bazar que se fait l’ouverture du coeur, pour entrer dans une nouvelle présence à la vie, par petits pas. Le zen évoque l’image suivante : « avancer à pas d’éléphant » – Avancer lentement mais sûrement, sans faire de bruit, ne pas précipiter le progrès, ne pas vouloir régler d’un coup tous ses tiraillements.
Faire l’expérience que tout est donné
Alexandre Jollien esquisse la voie de la joie inconditionnelle. Celle-ci nécessite que l’on se convertisse à l’instant présent. Chaque instant de notre vie est sacré. Or, toute notre vie est colorée par nos jugements intérieurs, qui nous séparent de cette dimension sacrée. Et, à force de nourrir une triste voix intérieure, on finit par croire vraiment que le monde est triste. La clé : voir la réalité telle qu’elle se propose à nous. Et se donner tout entier à cette réalité, dans un grand geste d’acceptation : en baissant les bras. Ce geste de baisser les bras n’est pas une posture de résignation, mais bien plutôt une forme de reddition joyeuse.
Cette voie de sagesse repose sur trois piliers, selon Alexandre Jollien :
- Se mettre en route, s’engager pleinement dans ce art de vivre au quotidien.
- Nourrir des amitiés dans le bien.
- Aider les autres avec générosité.
Il s’agit d’une éthique de l’action – une action lucide, qui nécessite que l’on soit prêt à vivre pleinement chaque saison de l’âme.
La première noble vérité du bouddhisme est que l’existence est souffrance (dukkha). Tout grince, tout coince… Et le travail spirituel consiste à « laisser grincer allègrement« , selon la jolie expression d’Alexandre Jollien.
En particulier, une grande source de souffrance se trouve dans la fixation. On tend à ne voir dans la vie que ce qui sert nos besoins, et on s’y accroche, comme si notre bonheur en dépendait. Ainsi, parfois, on touche même la souffrance au coeur de la joie, car on perçoit que la joie est éphémère, et qu’on ne peut la retenir.
« Le lâcher-prise, ça me gonfle ! » s’exclame Alexandre Jollien, avec son franc-parler si authentique. Dire oui à la vie, sans volonté de la maîtriser, ne veut pas dire lâcher-prise. Il nous propose plutôt le « détachement » : être présent, dans l’action, et détaché du résultat. C’est la piste qu’il explore dans son « Petit traité de l’abandon » : être vrai, se dépouiller des masques, oser l’abandon plutôt que la lutte. La première étape, c’est donc lâcher le lâcher-prise !
« Dire un oui inconditionnel, avec tout le bordel intérieur qui est le mien »
- Alexandre Jollien
Place à un pur amour
Alexandre Jollien évoque aussi le sérieux de l’adulte qui tient un rôle, avec une contenance, et une grande prétention. L’adulte est enfermé dans des étiquettes, des concepts. Tout est figé. Il compare ce sérieux à celui de l’enfant, qui se donne totalement à la vie, avec une forme de gravité, et de légèreté, dans l’instant. C’est ainsi que l’enfant touche à la joie pure.
Et sur cette voie de l’abandon, nous sommes souvent freinés par des émotions qui nous entravent. Alexandre Jollien nous montre que quand le mental produit une émotion négative, il peut aussi produire son « contre-poison ». Le « contre-poison » peut prendre la forme du pardon. Le pardon nécessite une infinie bienveillance envers soi-même. Et du temps : le pardon ne se commande pas ; il s’accueille, se reçoit. C’est un don. Il s’agit de considérer l’autre comme quelqu’un qui souffre, plutôt que comme une personne malveillante ou méchante. Quand le ressentiment tombe, il laisse la place à un pur amour.
Ce pur amour s’incarne dans le grand oui à la vie. Et un exercice zen tout simple propose de s’entraîner à ouvrir son coeur à cet amour, qui commence par soi : le matin, au réveil, se regarder dans la miroir et dire un oui joyeux, sans jugement. Comme c’est difficile souvent, quand on se trouve la mine chiffonnée et que l’on commence à penser au déroulé de sa journée !
« L’amour inconditionnel, ce n’est pas la tolérance absolue.
C’est la bienveillance totale envers ce qui est ici et maintenant. «
- Alexandre Jollien, Petit traité de l’abandon
Ne s’agit-il pas finalement simplement de connaître, et d’accepter, les lois du monde, les lois de notre condition humaine ? Ces lois qui fondent notre liberté.