Invitation à une rencontre amoureuse avec la vie
A la suite de mon précédent billet sur le bonheur, et toujours inspirée par le stage sur « Bonheur et Méditation », avec Martin Aylward (19 et 20 novembre), j’ai souhaité continuer cette exploration. Une exploration joyeuse sur notre aspiration commune à être heureux…
Et si le bonheur était une histoire d’amour ?
La pratique de la méditation nous invite à considérer chaque instant comme une rencontre amoureuse. Alors que l’on a souvent le sentiment d’être à côté de sa vie, séparé d’elle et du monde, la présence apporte une forme de guérison. Cette guérison passe par la caresse d’un sens de bienveillance aimante, de profonde tendresse, d’amour. L’enjeu : cesser de lutter contre ce qui est, mettre un terme à cette course après des mirages… et entrer en amitié, en amour, avec qui nous sommes et ce que la vie nous offre.
Alors que « moi » est constitué d’une série de contractions : pensées, jugements, croyances, histoire… qui nous figent en une statue de sel, l’amour est ouverture à ce qui est, et volonté de prendre soin de soi, et de ce qui se passe. Cette rencontre amoureuse a le pouvoir de dissoudre la rigidité de la statue de sel. Alors, elle ne se perd pas, mais se fond dans le grand mouvement de la vie.
On a là une opposition entre fermeture et ouverture. Et si l’ouverture semble beaucoup plus séduisante de prime abord, elle n’est souvent pas au cœur de notre expérience du quotidien. Nous vivons plutôt dans la tension causée par l’acharnement à préserver le « sens de soi ». Nous avons rencontré tout au long de nos vies de bonnes raisons de nous protéger, nous défendre et ainsi entretenir cette fermeture. Alors il convient d’être respectueux de ces protections, qui ont été à notre service, tout en observant avec lucidité quel effort énorme elles exigent de nous, pour les maintenir, contre le courant de la vie.
Nous aspirons tous à ressentir l’amour et le relâchement. Et pourtant, les sillons de nos schémas habituels sont si profonds qu’il est difficile d’en sortir. Souvent, on ne voit même pas que l’on chemine dans ces gorges sombres et encaissées. La pratique de la méditation nous invite à observer ces plis et replis avec douceur et bienveillance : sans drame, sans blâme, avec amour. Le chemin de la libération passe par la contemplation, et l’acceptation, de ce qui n’est pas libre en nous. C’est ainsi que la délicate fleur de lotus pousse dans les eaux croupies et la vase putride.
« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme »
Arthur Rimbaud, « Sensations »
Et si, finalement, le bonheur n’existait pas ?
Est-ce que cela ne nous procurerait pas un grand apaisement ?
Notre conception du bonheur est empreinte d’un matérialisme fondamental : je dois obtenir ce que je veux pour être heureux. Nous connaissons des instants de plaisir, qui sont des soulagements fugaces de notre désir, enfin assouvi. Ce moment de soulagement est certes très agréable, mais le désir surgit à nouveau, dans un criant : « je veux, je veux, je veux… ». Le relâchement est éphémère, et la frustration presque permanente.
Le désir nourrit le désir, et nous tournons comme un hamster dans sa roue, tout contents d’avoir l’impression d’avancer, jusqu’à ce que nous ouvrions les yeux. On a alors le sentiment de la futilité et du caractère infini de cette poursuite. Sans pour autant qu’il soit facile de sortir de ce processus, semblable à une addiction.
On peut alors être tentés d’explorer le chemin opposé, et être séduits par le fantasme de la fin du désir. Ce n’est pas désirable pour autant ! Sans désir, il n’y a pas de mouvement, pas d’expression, pas de motivation… Le désir anime la vie. S’il est vain de supprimer tout désir, il est en revanche intéressant d’explorer le mécanisme de cette roue qui nous entraîne. Il s’agit finalement d’une voie de sagesse, une troisième voie, autre que la voie matérialiste (où nous sommes piégés dans la roue du désir), et que la voie spirituelle radicale (qui vise à stopper la roue du désir). Et cette troisième voie nous propose de nous reposer, là, seulement là. Il n’y a pas de destination où arriver – contrairement à ce que nous dictent les deux autres voies, qui veulent nous mener « autre part ». Quel soulagement de trouver refuge dans cette immédiateté !
Qu’est-ce qu’être là ?
Notre conception de « être là » est amplement contextualisée par nos filtres : là par rapport à avant/après, là en lien avec ici/ailleurs. Par-delà ces filtres, « là » contient tout, et englobe notre présence à recevoir tout ce que la vie nous présente. Etre dans l’immédiateté de la vie.
Là, maintenant, de quoi suis-je conscient ?
Quels sont mes ressentis, mes sensations, mes émotions ? Comment mon élan de vie palpite-t-il ?
La réponse est ouverture, changement, instant après instant. Elle est fluide et dansante, plus vite que nos mots ne peuvent le dire.
Et si elle était inspirée par l’amour ?
« Il y a des fous tellement fous que rien ne pourra jamais
leur enlever des yeux la jolie fièvre d’amour.
Qu’ils soient bénis.
C’est grâce à eux que la terre est ronde et que l’aube
à chaque fois se lève, se lève, se lève. »
Christian Bobin, « Tout le monde est occupé »