La douceur des choses
« Prends garde à la douceur des choses » est l’invitation du poète Jean-Paul Toulet. S’agit-il de prendre garde, ou de donner place, en baissant la garde justement ? La pleine conscience nous invite à un nouveau rapport avec les choses. Ces choses, ces objets dits « inanimés » qui font partie de notre quotidien, auraient-ils des leçons à nous transmettre ? Des leçons de choses ?
Pas de tapage, mais des messages
Dans notre course folle, le mouvement incessant, le bruit permanent, les objets sont un rappel criant à la sagesse de l’immobilité et du silence. Imperturbables, ils sont là, immobiles. Futiles, inutiles ? Assurément pas. Leur présence même est gage de leur utilité. Et, par-delà cette utilité ordinaire, cette humble simplicité, se cache peut-être une autre histoire. Ces objets portent des messages. Même s’ils ne font pas de tapage, ne brillent pas de mille feux et ne s’agitent pas en tous sens, ils peuvent nous parler. Pour peu que l’on soit prêt à les écouter, à se laisser toucher.
Se laisser toucher par la grâce des menus objets ordinaires, et écouter leur histoire. Suis-je vraiment morte, nous dit la nature figée sous le pinceau du peintre ? Suis-je d’une telle grossièreté, nous murmurent le balais ou le plumeau ? Suis-je si banal souffle le bol ?
De l’immobilité à l’humanité
Pourtant, derrière l’apparente banalité se cache une histoire qui relie tous les êtres humains et les éléments qui ont contribué à créer ces objets. Lorsqu’on prend le temps d’ouvrir cette malle à trésors, elle recèle mille merveilles. Et cette découverte nous aide à percevoir combien nous sommes tous intimement liés. Ainsi, le nuage est dans la feuille de papier sur laquelle nous écrivons nos listes de « to-do ». Le nuage fait la pluie, qui permet aux arbres de pousser, alimentant les usines, au sein desquelles des personnes fabriquent du papier… Nuage et papier intimement liés.
Chaque objet porte l’histoire de sa création, ainsi que le chemin qui l’a mené jusqu’à nous. Peut-être l’avons-nous choisi sur un coup de cœur, ou nous a-t-il été offert, ou s’agit-il d’un héritage ?… Bribes de souvenirs abritées dans la matière, âme dans l’inanimé.
Cette présence invite à la conscience de cette humanité qui nous relie, et à la gratitude pour cette chaîne qui embellit tout ce qui nous entoure.
De la douceur des choses
Et si nous essayions d’entrer encore plus pleinement dans la présence ? Alors, on cesse de penser à l’histoire, d’imaginer toutes ces inter-relations… et on est juste là, dans la contemplation. Contempler, c’est poser un acte de présence, sans jugement, sans interprétation, sans convoitise. C’est se contenter de regarder les objets pour ce qu’ils sont. Nous observons alors notre propension à tout de suite leur coller une étiquette (les nommer, les qualifier), une appréciation (j’aime / j’aime pas), un désir (je voudrais l’avoir), des souvenirs (je me souviens quand je l’ai acheté), des perspectives (je pourrais m’en servir pour ceci…). Notre esprit est si prompt à s’approprier ce qu’il embrasse, en l’englobant dans un concept, pour garder le contrôle.
La contemplation pure nécessite un apaisement de notre pilote automatique mental. C’est la voie pour se laisser toucher par cette matière banale et silencieuse, tellement connue, et qui soudain nous apparaît dans sa profonde singularité. Si cet accueil du monde semble peut-être plus « accessible » avec la nature, il se joue aussi avec les objets. Se laisser toucher par la rose, comme par la chaise. Si l’esprit se met en retrait, le coeur peut tisser cette relation directe, nue.
Cette expérience est celle de la beauté. Beauté des choses, de la nature, du silence. La matière immobile peut nous paraître aussi mystérieuse que le silence, dans son épaisseur insondable.
Et si nous cessions de penser le monde, l’espace d’un instant, pour contempler l’invisible ?
Instant de grâce, et de gratitude.