La douceur : une voie vers le bonheur
La douceur a ses amateurs, ses défenseurs (je me rangerais volontiers dans ce camp), et ses détracteurs. Ces derniers l’associent allègrement à la mollesse, voire à la faiblesse. Pourtant, la douceur suppose une affirmation, une présence : affirmation d’une quête, présence des sens.
Sa définition première est : « qualité de ce qui est doux, agréable aux sens, qui procure une sensation de bien-être ». Le bien-être est-il donc un parti pris de faiblesse ?
La douceur envers soi : un geste de conscience
« Souviens-toi qu’il existe deux types de fous : ceux qui ne savent pas qu’ils vont mourir, ceux qui oublient qu’ils sont en vie. »
Matthieu Ricard, Plaidoyer pour le bonheur
Cette citation de Matthieu Ricard nous éclaire sur notre folie ordinaire : soit nous vivons sans conscience, considérant que nous avons un capital-vie illimité, soit nous vivons endormis, passant ainsi à côté de notre vie. Et souvent nous cumulons même ces deux types de folie. Pourtant, nous pouvons être sûrs et certains de deux choses : nous allons mourir un jour et, en cet instant, nous sommes bel et bien vivants. C’est là un criant appel à ne pas oublier l’essentiel : honorons ce miracle que nous soyons en vie maintenant, et honorons le en faisant de notre mieux pour être heureux.
Dans notre monde tumultueux, alors que nous sommes sans cesse sollicités par le bruit, la vitesse, les nouvelles cataclysmiques, l’incertitude rampante, le trop-plein de tout, et le pas assez de silence et d’espace… nous sommes en constant frottement avec le stress, qui nous chatouille ou nous grattouille sans cesse. C’est sans doute la raison de l’essor de la méditation, du yoga, des techniques de relaxation, des stages de développement personnel. Ce mouvement marque une quête de bien-être, un état de plus en plus difficile à toucher. Et toucher cet état passe par une première caresse : celle qui nous autorise à être doux envers nous-mêmes.
Cette douceur n’a rien à voir avec la mollesse. Au contraire, elle nécessite un effort, un travail. Il s’agit de se réveiller. Et, comme tout le monde le sait : le réveil au petit matin, après un profond sommeil, est un mouvement dans l’effort. Avec une douce fermeté, on s’extirpe du lit. Il s’agit donc de sortir du lit de notre inconscience, où nous passons une grande partie de notre vie, endormis.
« Vous souffrez parce que vous êtes endormi, mais vous pensez : comme la vie serait meilleure si untel changeait, si ma femme changeait, si mon patron changeait ! »
Anthony de Mello, Quand la conscience s’éveille
Le bonheur, en douceur
Le bonheur se trouve dans mille infimes propositions qui jalonnent nos journées. Encore faut-il être réveillé pour les voir, et les yeux grand ouverts. Si notre esprit est ailleurs, parti dans des vagabondages sur les rives du passé ou l’horizon du futur, alors ces heureuses ouvertures risquent bien de lui – de nous – échapper. Si nous n’éprouvons pas le bonheur au présent, nous ne pourrons que le regretter au passé, ou l’espérer au futur.
La pleine conscience nous invite à voir, sentir, vivre plus pleinement ces bribes de bonheur qui nous sont offertes. Et ces bribes, assemblées tels les morceaux d’un puzzle, pourraient bien au bout du compte composer une journée plutôt heureuse, à la nuit tombée.
Evidemment, cette conscience lucide nous amène aussi à considérer ces moments de bonheur comme fugaces. Tout passe… le bonheur comme le malheur. Alors, faut-il essayer de se cramponner à ces moments heureux pour tenter de les figer dans un présent qui se disloquera inévitablement ? C’est peine perdue, et souffrance assurée.
La voie de la pleine conscience propose plutôt d’accepter que nous serons toujours des intermittents du bonheur. Notre travail consiste à protéger et chérir ces parcelles de bonheur, parfois si vulnérables quand l’adversité fait rage. C’est là que nous sommes appelés à déployer des trésors de douceur : douceur envers nous-mêmes, pour faire une petite place à la joie, même quand la tristesse veut occuper tout l’espace ; douceur envers la vie, qui nous envoie tantôt du tragique, et tantôt du magique.
Douceur pour faire la place à des instants de grâce.