Le leurre du parfait bonheur, ou comment vivre heureux dans l’imperfection
Pour la méditante et passionnée de psychologie positive que je suis, quelle chance d’avoir pu participer à la journée sur « Méditation et Psychologie positive » avec Fabrice Midal et Tal Ben-Shahar, le 12 février. Et quelle joie de partager ici quelques moments de cette conférence ! La psychologie positive et la méditation forment une belle alliance, la première contribuant à présenter la seconde comme un véritable art de vivre. Comment cet art de vivre peut-il nous aider à vivre mieux, plus heureux ?
La quête de la perfection ferme la porte au bonheur
Notre quête de la perfection est un sillon profondément ancré, dont souvent nous n’avons même pas conscience. Si nous étions imparfaits – et nous le sommes – cela invaliderait notre personne. Toujours plus, toujours mieux. Sinon, à quoi bon être là, si ce n’est pas pour avancer, progresser, faire plus et être mieux. Ce à quoi nous invite Fabrice Midal, en nous disant « Foutez-vous la paix » (le titre de son dernier livre, et son nouveau leitmotiv), c’est à lâcher l’idée qu’il faudrait être parfait pour avoir le droit d’être. Il s’agit de revenir au cœur même de notre existence : s’autoriser à être tels que nous sommes, même dans l’imperfection, la confusion. Même avec toutes nos bizarreries. Etre simplement humains.
C’est le chemin de la pratique de la méditation. C’est le don de la pratique. C’est en entrant en rapport à ce que nous sommes que nous pouvons le transformer. Il ne s’agit pas de renoncer à changer, ni de vouloir tout contrôler. Dans l’espace de présence ouvert par la pratique, on trouve les ressources pour changer véritablement. Comment pourrions-nous transformer ce que nous ne voyons pas avec lucidité ? Si nous sommes crispés sur la culpabilité de ne pas être comme nous voudrions être, avons-nous vraiment la place, l’espace pour créer une transformation ?
Tal Ben-Shahar, grand expert de la psychologie positive, témoigne que, après la publication de son premier livre (« L’apprentissage du bonheur »), de nombreux lecteurs venaient à lui, affirmant appliquer ses théories, mais se disant toujours aussi malheureux. En fait, ces personnes se trompaient de quête : elles ne poursuivaient pas le bonheur, mais la perfection. Cette perfection prend alors deux formes, sources de deux grands malentendus.
Nous croyons que nous pourrions (devrions ?) vivre un continuum de bonheur. Or ce bonheur parfait est parfaitement impossible !
La perfection des émotions
On veut des émotions parfaites, seulement positives. La joie, l’enthousiasme, l’allégresse… ont droit de séjour. Mais tristesse, chagrin, colère, angoisse… on n’en veut pas ! Ces émotions sont étiquetées en nous comme « indésirables », comme des signes que nous errons sur une voie contraire au bonheur.
Or, les émotions douloureuses sont simplement le signe que nous sommes en vie. Tal Ben-Shahar nous rappelle que, pour ne pas ressentir d’émotions désagréables, il faut être soit psychopathe, soit mort. On souffre d’attendre de ne ressentir que des émotions agréables. Et on s’inflige alors une double-peine : non seulement les émotions non voulues arrivent dans le flux de la vie, mais en plus on se blâme de n’avoir pas su les éviter. Si on n’a pas le choix au premier niveau (l’émotion elle-même est un mouvement imprévisible), on a le choix au second niveau : le choix de s’infliger, ou pas, une réaction auto-critique.
La psychologie positive rejoint ici la métaphore des flèches du Bouddhisme : l’émotion initiale est une flèche douloureuse, qui nous touche sans que nous ayons le choix. Ensuite, nous avons le choix de ne pas nous blesser davantage en nous décochant une deuxième, puis une troisième, puis encore tout un bouquet d’autres flèches (« je suis nulle », « je n’y arriverai pas », « et voilà ça m’arrive encore »….). Cette métaphore trouve sa source dans une histoire du Bouddha, qui parle d’un homme qui reçoit une flèche et ressent de la douleur liée à cette blessure, puis de la colère parce qu’il a reçu cette flèche. Douleur physique et une douleur mentale s’amplifient mutuellement. C’est comme si l’homme avait reçu une première flèche et immédiatement après une seconde flèche.
Lâcher la quête de la perfection, jusque dans le contrôle de nos émotions, c’est s’autoriser à être humain. La psychologie positive rejoint ici magnifiquement la méditation : accepter ce qui est et s’autoriser à vivre notre humanité.
La perfection du voyage
On veut un voyage vers le bonheur parfait, sans heurts, sans échecs. Pourtant, dès que nous entrons à l’école, nous découvrons qu’il ne faut pas se tromper. L’erreur est associée à la sanction, au jugement, au mal à fuir. Et si, petit enfant, nous avons appris à marcher en tombant et nous relevant cent fois, sans nous blâmer et même et en y trouvant du plaisir, nous apprenons à l’école qu’il ne faut plus tomber. On s’auto-critique alors à chaque échec, pour mieux tendre vers une perfection assimilée au bonheur. Des phrases comme celle de Thomas Edison peuvent nous aider à remettre cette croyance en perspective. Alors qu’un journaliste l’interviewait sur ses nombreux échecs, Thomas Edison répondit : « Je n’ai pas échoué mille fois, j’ai réussi mille fois à montrer ce qui ne marche pas. »
Se donner l’autorisation d’échouer est au cœur de la poursuite du bonheur.
La pratique de la méditation nous entraîne à entrer en rapport à ce qui est. Cet entraînement est sans but, donc sans risque d’échouer. Il s’agit là d’un renversement radical par rapport à nos tendances habituelles. On va toujours « quelque part ». Il y a toujours un horizon à atteindre. Dans la pratique de la méditation, l’horizon est ramené à la ligne du présent. Et alors, et encore ?… Ce qui est présent n’est souvent pas ce qu’on voudrait. Une émotion désagréable surgit ? On cherche à la fuir. Et en plus on se blâme de n’avoir pas réussi à éviter cette douleur. Or, si la douleur est inévitable, la souffrance est optionnelle – la souffrance de cette flèche additionnelle que l’on s’inflige.
La vie est incertaine, et elle nous dépasse dans notre volonté de maîtrise. L’enjeu de la pratique de la méditation est d’apprendre la flexibilité : apprendre à être tels des roseaux qui plient sous la tempête, mais ne se brisent pas. Fabrice Midal cite alors François Roustang, qui avait fait sienne la devise des marins : « On ne commande au vent qu’en lui obéissant. » Ou comment prendre le large, suivre l’appel de la liberté, en s’appuyant sur la force des vents, auquel on ne peut échapper.
Lâcher la perfection : une nouvelle injonction ? Surtout pas ! Un relâchement, un soulagement, un « laisser-être ». En douceur.