Quelle est notre ressource la plus précieuse ?
Quelle est notre plus précieuse ressource, celle que nous dilapidons sans en avoir conscience ? Beaucoup répondront qu’il s’agit du temps. Le temps file inexorablement, assurément. Nous disposons de 86 400 secondes dans une journée. Mais chacune de ces secondes a-t-elle la même valeur, la même qualité, la même densité ? Chaque seconde a-t-elle réellement la même durée ? Il est d’interminables secondes, alors que d’autres sont si furtives. Nous expérimentons tous cette appréhension si subjective du temps. Quelle est donc la différence entre une seconde dilatée et une seconde abrégée ? La différence repose dans le lit de l’attention.
L’attention est un trésor oublié, et dans ce trésor se trouve peut-être notre ressource la plus précieuse.
L’attention, un trésor négligé
N’avez-vous pas remarqué à quel point notre attention est de plus en plus éparpillée ? Si on parle de plus en plus du Trouble du Déficit de l’Attention (TDA) chez l’enfant, les adultes sont eux aussi affectés par ce mal sournois. Surabondance d’informations, connexions à foison, surexcitation sensorielle, travail multitâches et multiplication des sollicitations… Nous sommes dispersés. Désespérément dispersés.
Lorsque nous travaillons sur plusieurs tâches en même temps (multitasking), nos performances sont réduites, les risques d’erreurs accrus, la satisfaction émoussée, l’apprentissage difficile… De nombreuses études montrent les effets négatifs de ce nouveau mode de travail, tant sur les résultats, que sur notre état intérieur. Notre attention ne peut pas se diriger telle une pieuvre aux nombreuses tentacules, pour embrasser toutes nos activités avec tendresse et efficacité. En outre, nous devenons moins aptes à discerner l’urgent et l’important. Toute sollicitation entre dans le champ de notre attention ramollie comme étant un événement à intégrer et traiter, au même rang que les autres, donc immédiatement. Tout devient urgent quand l’attention est laissée à l’abandon.
A force de vouloir nous connecter au monde virtuel par l’intermédiaire de ces outils censés nous simplifier la vie, notre vie devient en fait si compliquée. Nous nous déconnectons du réel, nous perdons le simple rapport avec le présent. Ce lien entre notre esprit et le monde, c’est l’attention qui le tisse. Or, la distraction est l’ennemie de l’attention. Il en résulte des conversations moins profondes, un travail moins performant, une fatigue chronique, une moindre satisfaction dans nos réalisations, un sentiment de tiraillement permanent. A force de laisser notre attention en friche, la voir fleurir nécessite de plus en plus de jardinage. On a même oublié combien ses fleurs sont essentielles à notre jardin.
Pourquoi l’attention serait-elle donc la ressource humaine la plus précieuse ?
Parce que l’attention est l’énergie avec laquelle nous nous engageons dans le monde. Ce à quoi nous accordons notre attention devient notre réalité. Notre esprit est-il parti vagabonder dans le passé ? Sommes-nous en train d’échafauder mille plans pour le futur ? Ou bien le présent occupe-t-il tout l’espace ?
Par-delà ce sur quoi nous portons notre attention, il convient de considérer comment nous dirigeons notre attention. Notre attention est-elle dispersée ? Nous vivons des miettes de réalité. Notre attention est-elle focalisée ? Notre expérience est plus solide et entière.
Musclons notre attention
Sans la lumière de l’attention, d’une attention dirigée avec discernement, nous tombons facilement dans deux zones sombres.
La première est la zone sombre de la dispersion. Notre esprit est prompt à vagabonder tel un singe qui saute de branche en branche. Nous passons d’une pensée à une autre, d’une activité à une autre, d’une distraction à une autre. Ce sentiment de plein nous comble un moment, puis s’ensuit souvent une sensation diffuse de vide. Sans attention focalisée, on reste à la surface des choses, à la périphérie du monde.
La seconde est la zone d’ombre de la rumination. Nos pensées nous entrainent volontiers vers un passé chargé de regrets, ou un futur porteur de peurs. Nous sommes alors en voyage dans un monde virtuel, un monde de souffrance, à mille lieues du monde bien réel qui s’incarne dans l’instant présent. Sans attention orientée vers le présent, on passe à côté de notre vie.
L’attention est un outil, au service de la conscience. Elle nécessite une décision, le choix de « porter son attention » sur tel ou tel objet. Et, par là-même, cela implique aussi le choix d’exclure du champ de notre attention d’autres objets. On oriente de faisceau vers ce que l’on veut mettre en lumière, et on écarte ce que l’on ne veut pas inclure dans le champ. La méditation de pleine conscience repose sur ce travail de l’attention.
Tout comme les muscles de notre corps, l’attention – muscle de l’esprit – a besoin d’exercice et d’entrainement pour devenir forte et affûtée. De même que l’on sculpte nos abdominaux avec différents types d’exercices, l’attention se travaille dans plusieurs directions.
Vers une attention ouverte, immergée et fluide
La première direction concerne le degré d’ouverture de l’attention. Celle-ci peut être très focalisée, tel un rayon laser qui pointe sur un objet. C’est ainsi que nous pouvons être concentrés sur la réalisation d’une tâche, ou complètement absorbés par une douleur dans une partie du corps. Inversement, l’attention peut être grande ouverte, comme l’objectif d’une caméra qui passe d’un plan serré à un plan très large. Son champ englobe alors différents objets, incluant tout ce qui émerge dans le champ sensoriel. Ainsi, lors de la pratique de la méditation de pleine conscience, on inclue les sensations corporelles, les sons, les émotions et les pensées dans le champ de l’attention.
La deuxième direction explore la qualité de l’attention. Celle-ci peut être « analytique » ou « immergée ». Nous avons recours à une attention analytique pour résoudre un problème, réfléchir de manière intense. Alors que l’attention immergée ne passe pas par l’analyse ou le raisonnement. Elle nous plonge pleinement dans l’activité, à un niveau plus profond, où la conscience de soi tend à se dissoudre. C’est le propre des activités artistiques ou sportives par exemple. Cette modalité de l’attention correspond à une pleine présence, intense et non réflexive.
La troisième direction nous parle de la mobilité de l’attention : celle-ci est-elle fixée ou fluide ? L’attention fixée écarte tout ce qui ne relève pas de son champ de focalisation. Elle perd toute mobilité. C’est le cas lorsque nous nourrissons des pensées d’anxiété. Cette fixation survient aussi dans des moments de fascination. Grâce à des exercices d’étirements et de stretching… l’attention peut devenir souple et fluide. Il ne s’agit pas pour autant de dispersion, qui implique une forme de ballottement au gré des courants. L’attention fluide est celle du chef d’orchestre qui est présent pour chacun des musiciens, vigilant à la musique de chaque instrument, et à l’écoute de l’harmonie de l’ensemble.
Une attention ouverte, immergée et fluide est celle qui nous permet de toucher à la pleine présence. Pour cultiver ces qualités, un entrainement est nécessaire. C’est le coeur de la pratique de la méditation : s’asseoir et faire un avec son souffle. L’esprit s’échappe, on revient au souffle, encore et encore. Ces aller-retours sont précisément l’exercice de musculation de l’attention. Et un muscle ne se fait pas en un jour ! Constance et persévérance sont nécessaires pour voir les fibres s’affermir et la tonicité apparaître.
Il s’agit là d’une hygiène essentielle pour notre esprit, sans cesse sollicité par les sirènes des mails, de la publicité, des pseudo-urgences… Notre attention est fragmentée. Tel un cabri elle saute d’un objet à l’autre sur un mode réactionnel : hop une pensée, hop une distraction, hop hop hop…
Prenons soin de ce joyau. Car si le temps est une ressource humaine essentielle, sa mélodie est bien pauvre si elle ne se joue pas sur la partition de l’attention.